L’arrivée à Viñales
A chaque descente de bus, nous avons l’impression d’entrer à La criée, nous sommes le poisson frais et chaque chauffeur de taxi ou propriétaire de casa tentent d’arracher la plus grosse prise. Les cartes de visite devant le visage, nous essayons de sortir du bus à la manière de Brad Pitt tentant de rejoindre le tapis rouge. Enfin arrivés aux premières marches de la ville, nous nous retrouvons dans l’une des deux artères du village. Allemands, Français et Argentins rodent à la recherche de leur Casa. Une odeur de cité touristique flotte à Viñales. Pas une maison ne possède pas son autocollant « Hostel » Certaines tentent d’attirer le touriste occidental en y accolant un sticker TripAdvisor ou un nom évocateur comme « Casa Mojito » ou « Casa Cuba Libre ».
Les tours-opérateurs paradent pour déposer la cargaison. Quelques porte-feuilles descendent avec leur décimètre de talons compensés s’enfonçant dans le délicieux crottin caractéristique d’un monde agricole. Que recherchent ces gens en venant ici ? Et quelle image la population locale peut elle se faire de ce peuple Européen les voyant débarquer 1000 euros autour du cou et 300 euros aux pieds ? Chacun voyage à sa façon, nous considérons que le fait de découvrir une culture constitue déjà une ouverture d’esprit en soi. Nous nous inquiétons plutôt de l’avenir du pays et des dérives cupides que peuvent provoquer ce type de tourisme.
Nous posons nos sacs dans notre nouvelle maison pour 4 nuits. La disponibilité des bus nous a contraint à rester une journée de plus ici. Nous sommes accueillis par Negro y Tite un couple quinquagénaire, leur jeune fille de 12 ans et la mamie. La famille nous apporte un jus de bienvenue, nous sommes douteux d’une hospitalité sincère, peur de voir débarquer une facture sur le prochain plateau. En discutant avec eux nous comprenons mieux.
Le tourisme grandissant du pays encourage les nombreux « fonctionnaires » à se lancer dans le milieu. Le salaire moyen légal est de 25 euros / mois. Notre chambre en coûte le même tarif par nuit. Ces nouveaux saisonniers, anciens esclaves du gouvernement y voient un argent facile oubliant totalement l’aspect « service ».
Déçus de ce premier contact se disant rural et isolé nous promettons de nous éloigner dès le lendemain de la masse touristique, à la recherche d’authenticité et de dépaysement. Hors de question de réserver le moindre tour à cheval, pas de guide, nous marcherons !
9h du matin, ciel parsemé de petits cumulus, nous chaussons les randos et partons en direction des mongotes, ces petites montagnes locales arrondies et recouvertes de palmiers. Nous marchons un ou deux kilomètres dans la boue ocre argileuse avant de tomber sur un champ de tabac. Deux paysans y récoltent les premières feuilles de la saison. Soucieux de rencontrer des gens par nous même à la manière d’Antoine de Maximy, Laura part briser la glace et lance un bref « Es Tabaco ? ». S’en suivront quelques échanges et une courte visite de la grange où sont entreposés les feuilles pour un séchage de 75 jours. 3 types de feuilles sont utilisés pour former un cigare, la tripe, la cape et la sous-cape. Le vieil homme au visage marqué par le travail agricole, look américain, casquette et vieux jeans troué termine sa manipulation en à peine 2 minutes. Après quelques inspirations dans le cigare, nous le guillotinons pour repartir avec, nous le fumerons plus tard pendant ce tour du monde !
Fiers de notre premier vrai contact sans casquette touristique, nous prenons confiance et enchaîneront pendant 3 jours, chemins sinueux et paillotes agricoles. Nous y trouverons ce que nous cherchions, confection de cigare, de café, de miel, de manioc. Un capybara domestique attaché au ponton d’une grange, de la culture de bananes, d’ananas.
Un agriculteur nous apprendra que la canne à sucre est plutôt cultivée dans la partie Est du pays. Nous marchons sous une chaleur étouffante, mais cette fois-ci, aucun moustique ! Les quelques averses créent un mélange mi-terre mi-bouse qui rendent nos déplacement plus compliqués. Nous évitons les flaques et la boue, marchons là où c’est encore sec tout en suivant les crottins de chevaux laissés par les balades touristiques.
Les pauses déjeuner se feront au milieu des caquètements de volailles, des vaches et de cochon. Ce dernier donne l’impression de sortir d’un match de Roland Garros, couvert de boue ocre tentant de se faire un masque exfoliant façon Rio Lagartos. Nous dégustons une énième boite de thon mexicaine tout en ouvrant cette grosse coque fruitière tombée devant nous. Une odeur de savon se dégage à l’ouverture, il s’agit d’une amande fraîche entourée de son huile connue pour l’utilisation massive dans les cosmétiques. A l’issue de ces 3 jours nous apprendrons comment rouler un cigare, comment le fumer aussi. Il parait que Fidel trempait le filtre dans le miel pour « filtrer ».
Cuba dans le noir
De retour au village nous apprenons que le courant est coupé depuis quelques heures. Un classique. Un caténaire à explosé paralysant la ville et les touristes. Il est 17h, la nuit tombe. Nous en profitons pour discuter avec la famille, chacun sur un rocking chair à faire une partie de Uno, éclairés à la lampe frontale. Pour répondre à notre question, Négro réplique : « Ici le courant reviendra dans 2h, ou peut-être 3, ou dans la soirée… C’est Cuba ! » La lumière reviendra à 21h30. Signal pour enfin se doucher à l’eau chaude qui fonctionne à l’électricité. Pas sûr que les normes européennes soient appliquées ici !
Le rythme des soirées est dicté par le coucher du soleil mais également par la Salsa. Tous les samedis, est organisé une fête sur la place du village. Les jeunes et les étrangers de passage peuvent manger, boire et danser la Salsa. Il n’est pas rare de voir les locaux enseigner quelques pas aux visiteurs.
Autour d’une Piña Colada, un couple de jeunes Cubains nous propose de passer la soirée ensemble. Après tout, c’est un bon moyen de vivre l’authenticité recherchée, admirant les autochtones se déhancher, danse sexy et rythmée. La France est connue pour ses mimes, le mimétisme n’est pourtant pas notre qualité. Les quelques pas enseignés ressemblent plus à une danse préhistorique, un rituel voodoo qui a plus de chance d’apporter la pluie que le soleil ! Exténués de ces quelques jours à crapahuter 62km dans les champs, nous retrouverons la Casa pour une dernière nuit avant de rejoindre le bus pour Cienfuegos.